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L’ELECTION D’ERDOGAN EST AUSSI UNE REVANCHE SUR UNE DOUBLE HUMILIATION

De nombreuses raisons ont été données pour expliquer la victoire de Tayyip Erdogan en Turquie malgré une importante crise économique qui pèse lourd sur la plupart des Turcs.
Dès lors qu’on se penche vers l’aspect émotionnel du vote Erdogan au cours de nombreuses années, il faut déchiffrer son discours et se mettre à l’écoute de ses partisans. On comprend alors que ce vote est aussi exercé par de nombreux électeurs comme un geste de réparation d’une double humiliation. Celle qui a été infligée aux classes le plus souvent modestes, pieuses, attachées aux traditions, par l’élite séculaire qui a dominé le pays depuis Kemal Atatürk. Mais aussi celle ressentis par les Turcs qui se sont vus rejetés par l’Union Européenne vers laquelle ils se tournaient.

Le lendemain de la victoire d’Erdogan le quotidien pro-gouvernemental Sabah titrait « L’Homme du peuple a gagné ». Le président turc aimait dire à ses partisans qu’il était comme le peuple, qu’il était un des leurs. Un attachement durable et presque inconditionnel lie la majorité de ses électeurs à Erdogan. On ne peut nier que les Turcs modestes, pieux, d’origine et de culture anatolienne, majoritaires dans le pays, se sont souvent sentis discriminés, voire regardés de haut par une classe laïque et urbaine de Turcs. Ceux-ci, représentant une portion non négligeable de la population, détenaient les leviers de l’administration, des medias, et du système économique depuis l’avènement de la République Turque. Au cœur de cette discrimination, l’interdiction faite aux femmes de porter le foulard dans les établissements d’enseignement et dans de nombreuses administrations. Alors qu’en France les femmes avaient la possibilité de porter le foulard dans les universités, en Turquie, pays musulman à 99%, leurs consœurs n’ont obtenu ce droit qu’avec l’arrivée au pouvoir d’Erdogan. Aux yeux de ses électeurs traditionnalistes et d’origine modeste, le président turc leur a apporté non seulement une amélioration économique sensible au cours des premières années de son mandat, mais aussi l’impression d’être enfin reconnus, et une certaine fierté.

Erdogan a très habilement surfé sur ces sentiments. Il lui a même été reproché d’avoir exprimé en 2012 le vœu de former une jeunesse revendiquant sa religion et sa haine. Il s’est constamment adressé à son électorat en termes de « nous » et de « eux » exacerbant les clivages préexistants.
Voter Erdogan a été pour une partie non négligeable de ses électeurs une façon de voter pour son camp, voire de prendre une revanche sociale.

Contrairement a la plupart des pays musulmans, la Turquie n’a jamais été colonisée. Elle a surtout été colonisatrice au temps de l’Empire Ottoman. De ce fait les Turcs ne nourrissaient à l’égard de l’Europe aucune acrimonie. Dans leur vie quotidienne ils partagent avec l’Europe le même alphabet, le calendrier, et un système législatif laïque similaire. La Turquie fait partie de l’OTAN, du Conseil de l’Europe, de l’OCDE, de l’Eurovision et de tous les championnats sportifs européens. La majorité du commerce et des voyages des Turcs sont tournés vers l’Europe.

Vers les années. 2005-2010 où la question a été un objet de polémique intérieure dans de nombreux pays européens, notamment en France et en Allemagne, les Turcs ont enfin compris que l’Union Européenne ne voudrait jamais d’eux (1). Les élargissements de l’Union à la Bulgarie et à la Roumanie en 2007, puis à la Croatie en 2013 alors que ces pays avaient posé leur candidature bien plus tard que la Turquie, ont été naturellement très mal perçus. Les Turcs ont eu le sentiment d’avoir été victimes d’un jeu de dupes et la désillusion a été importante. Dans les sondages d’opinion, ils étaient majoritairement favorables à l’entrée dans l’Europe. Au cours de cette période, l’opinion publique a complétement changé sur ce sujet. Erdogan alors premier ministre, a décidé de se tourner vers le Moyen Orient, l’Asie centrale et la Russie. Par ailleurs il a commencé à développer un discours où il présentait aux Turcs les Etats Unis et l’Europe, comme étant des ennemis qui œuvrent pour affaiblissement de leur pays. Les medias turcs ont abondamment repris ce thème. Il y a eu aussi de nombreuses tensions entre la Turquie et ce que l’on peut appeler le Monde Occidental. Des points de friction ont notamment porté sur l’intervention turque en Lybie, l’hébergement par les Etats Unis du prédicateur Gülen, le conflit avec la Grèce au sujet des eaux territoriales, l’achat des fusées S400 aux Russes et l’attitude des Turcs à l’égard des Kurdes. Si bien que à l’occasion des dernières élections, dans un climat de tension exacerbée, Erdogan a décrit son rival, Kiliçdaroglu, comme étant à la solde d’un Occident dégénéré qui soutient les terroristes Kurdes et veut la perte de la Turquie.
Ce discours a porté ses fruits et le sentiment nationaliste turc a été renforcé par l’impression d’être attaqué. Les nationalistes, même non religieux, ont massivement voté pour Erdogan qui s’opposait, selon eux avec succès, à un Occident qui leur était hostile.

L’on peut ainsi dire que le vote Erdogan a notamment été une manifestation de la poursuite de la protestation de ses électeurs contre la classe séculière turque qui a longtemps dominé le pays. Celle ci est d’ailleurs plus occidentalisée dans son mode de vie. Aussi, dans un amalgame peut être inconscient, de très nombreux électeurs ont voté à la fois contre l’Occident, et pour leur propre camp, contre celui de ceux qui ont un mode de vie à l’occidentale.







(1) Nicolas Sarkozy avait notamment déclaré « Si l’on dit que la Turquie est un pays Européen, c’est que l’on veut la mort de l’Europe »


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